Une expérience d’édition

Lu dans N’espérez pas vous débarrasser des livres de Jean-Claude Carrière & Umberto Eco (Paris, Grasset, 2009) : 

« Avant d'écrire ce roman, j'avais publié une enquête sur les éditions de ce type. Vous adressez votre texte à une de ces maisons qui ne tarit pas d'éloges sur ses qualités littéraires évidentes et vous propose de vous publier. Vous êtes bouleversé. Ils vous donnent à signer un contrat qui stipule que vous devrez financer l'édition de votre manuscrit, en échange de quoi l’éditeur s'emploiera à vous faire obtenir force articles et même, pourquoi pas, des distinctions littéraires flatteuses. Le contrat ne stipule pas le nombre de copies que l'éditeur devra imprimer, mais insiste pour dire que les invendus seront détruits « sauf si vous vous en portez acquéreur ». L'éditeur imprime trois cents copies, cent destinées à l'auteur qui les adresse à ses proches et deux cents aux journaux, lesquels s'empressent de les jeter à la poubelle. 

Mais la maison d'édition possède ses revues confidentielles, dans lesquelles des comptes rendus seront bientôt publiés à la gloire de ce livre « important ». Pour obtenir l'admiration de ses proches, l'auteur achète encore, disons, cent exemplaires (que l'éditeur s'empresse d'imprimer). Au bout d'un an, on lui fait savoir que les ventes n'ont pas été très bonnes et que le solde du tirage (qui était, on le lui apprend, de dix mille) va être détruit. Combien veut-il en acheter ? L'auteur est terriblement frustré à J'idée de voir disparaître son livre chéri. Alors il en achète trois mille. L'éditeur en fait aussitôt imprimer trois mille qui n'existaient pas jusque-là et les vend à l'auteur. L'entreprise est florissante puisque l'éditeur n'a strictement aucun frais de distribution. » (pp. 199-200)

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